ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 1993 Société de Démographie Historique - E.H.E.S.S. Paris, 1993
HISTOIRE DEMOGRAPHIQUE ET HISTOIRE SOCIALE par Alfred PERRENOUD
Lors de la commémoration du XXe anniversaire de la Société, Maurice Garden s'étonnait de ce que la démographie historique et l'histoire sociale, qui devraient être résolument complémentaires, éprouvent tant de difficulté à se rejoindre. Car l'une et l'autre, portées par l'ambition de saisir les moteurs de la reproduction sociale, ont en commun la nécessité de trouver les logiques qui organisent les comportements individuels et collectifs et conduisent au changement social. Toute approche du social ne peut se passer de l'intervention de la démographie qui se situe précisément au centre du rapport entre individus et processus sociaux.
Dans la foulée d'une histoire sociale labroussienne ancrée profondément dans les structures matérielles de la société, et tributaire aussi du modèle de la transition démographique qui accorde le primat à l'explication socio-économique, la démographie historique s'est aventurée dans le champ du social avec pour objectif de découvrir des comportements différenciés, dont on peut présumer qu'ils participent de la régulation sociale, assurent la perpétuation des structures, infèrent le changement.
En fait, dans le monde rural sur lequel ont porté les premières recherches, il n'existe pas de clivages sociaux assez profonds pour permettre de dégager de fortes divergences d'origine sociale ou professionnelle. Ce qui ne veut pas dire que les comportements soient affranchis des pesanteurs socio-économiques. Mais du fait qu'ils sont captifs des traditions régionales, ces comportements demeurent difficiles à cerner et plus encore à interpréter dans leur dynamique, car selon le niveau d'observation auquel on se place, ils peuvent se révéler contradictoires. Deux exemples pour illustrer cette complexité.
Les particularismes régionaux de la fécondité française et de son déclin sont assez bien connus, et les liens avec le système agraire, le mode de faire-valoir, les pratiques d'héritage et la sécularisation ont été mis en évidence (notamment par D. Weir, 1983, H. Le Bras, 1986, R. Lesthaeghe, 1989). Cependant, les associations relevées à l'échelle des agrégats régionaux ne semblent pas se vérifier au niveau individuel ou local. Les analyses de Dadid Weir montrent que la proportion de non-propriétaires est associée positivement avec le niveau de fécondité et négativement avec la rapidité du déclin, ce qui tendrait à indiquer que la prolétarisation rurale a ralenti plutôt qu'accéléré la transition de la fécondité française. Or, ce constat contredit partiellement les observations faites dans les monographies, qui révèlent qu'en règle générale les paysans défavorisés ont moins d'enfants que les riches (Fauve-Chamoux, 1987). Ainsi, dans le Thimerais, ce sont les plus pauvres qui auraient pratiqué les premiers le contrôle des naissances (Derouet, 1980). En revanche dans le Quercy, la baisse de la fécondité concerne en priorité les possédants, mais il s'agit en Poccurence du groupe le plus fécond, tandis que les cultiva-
