BULLETIN DE PSYCHOLOGIE Tome XL -N° 379
Le double fonctionnement mental en groupe médiaté
Jacques BIROUSTE Jean-Pierre MARTINEAU Adam-Franck TYAR
1. Double fonctionnement
Groupe « médiaté » est la formulation admise entre nous pour désigner les groupes restreints utilisant les relais techniques d'audio et de Vi¬ sio (ou télé) conférence commercialisés par les Télécommunications.
Ces nouveaux services illustrent l'avancée des techno-sciences, l’importance des technologies de distribution et l'intensification de l’informa¬ tion dans la société postmoderne. L'exposition récente du CNAC orchestrée par J.F. Lyotard (1 ) et consacrée aux immatériaux désigna comme moment charnière du changement social cet impact des technologies nouvelles sur nos iden¬ tités.
Ce phénomène d’innovation mérite d’être con¬ sidéré d'un double point de vue : fonctionnel, technique, opératoire et imaginaire, fantasma¬ tique.
Si les opérations d’innovation (objectivées en phénomènes, mécanismes, procédures, systèmes) consistent à transformer un paradoxe (saut créateur, trouvaille...) en paradigme (modélisa¬ tion, référentiel, rationnel de reproduction des phénomènes) le travail clinique consiste à col¬ lationner les petits détails, les restes, les fan¬ taisies qui en tant que « productions intermé¬ diaires » permettent d’inférer les processus en œuvre dans le travail créateur et la personnali¬ sation.
Les cohérences pré-structurales mais aussi le travail du négatif, les effets de non sens qui as¬ surent la bascule ou l'ouverture des systèmes établis, la mise en évidence de la relation d’in¬ connu (G. Rosolato) de l’absence, du vide (P. Fedida) nous intéressent tout autant — et con¬ jointement — que la cohérence logique, discur¬ sive propre à repérer les développements, mais
insuffisante pour rendre compte des manifes¬ tations processuelles.
La notation clinique que nous voulons instiller dans nos travaux tient à ce souci d’analyser dans les turbulences observables (individuelles, grou¬ pales, sociétales toutes trois en écho) le double travail de l’intensif et du représentatif, du processuel et du formel, du narcissique et de l’objectai, de la liaison et de la déliaison.
Ne confondons pas marketing et recherche scientifique, il ne s’agit pas d’ « habiller » ces nouveaux média pour les conformer à la com¬ mande de quelques groupes sociaux supposés intéressables ni de définir la didactique de leur utilisation. Si on ne veut pas risquer de bana¬ liser ce type de produit ou d'aboutir à un rap¬ port service/ prix défavorable (ce qui dans les deux cas équivaut à casser l’innovation par l’excès ou l’insuffisance d’audience) il faut « habiter » l’innovation, en apprécier la phéno¬ ménologie et tenter d'analyser les processus qui s’y investissent.
• Supériorité ou incomparabilité
Méfions nous des traitements résolument et précocement mécanistes ou systémiques ; con¬ sidérons comment une innovation « surexpose » au changement et suscite une inquiétude ré¬ flexive.
Le groupe « médiaté » ne peut pas seulement se concevoir comme un groupe appareillé, dont la valeur d'usage se trouverait considérable¬ ment augmentée par une prothèse. Il n'est pas qu'un prolongement des groupes de face à face et il ne s’agit pas tellement d’essayer de se rapprocher d’un niveau égal de compétence (en interactivité, prise de décision, transmis¬ sion d'information) avec une économie de dé-